Jacques-Philippe Saint-Gérand, ‘Morgan Kavanagh: condylure oublié en histoire des science du langage?’
Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand II)

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Le nom de Morgan Peter Kavanagh n’évoque aujourd’hui quasiment plus rien à nos contemporains. Seul, peut-être, le nom de sa fille, Miss Julia Kavanagh, romancière et poétesse décédée à Nice en 1877, subsiste-t-il encore comme un lointain écho des activités scripturales de la famille. À l’exception bien évidemment des volumes présentement consacrés au Prix Volney de l’Institut de France, les entreprises historiographiques contemporaines et les historiens de la linguistique ignorent même totalement d’ailleurs ce personnage d’Irlandais curieux qui, à l’instar de Larousse cumulant dans son double prénom de Pierre Athanase une référence à la religion chrétienne et aux cultes antiques défiant la mort, inscrivait dans son prénom une double filiation mythique et catholique [...];

Il est vrai que ce polygraphe énigmatique, ayant écrit romans et poèmes de peu de succès mais en abondance, vivant en alternance à Londres et à Paris, est trop singulier pour pouvoir être aisément rattaché aux grands lignages de l’historiographie des sciences du langage. Candidat malheureux et pourtant obstiné en 1847, 1850, 1857, 1869, 1870, 1871 et 1873 au prix décerné par l’Institut, Kavanagh ne cesse de revenir sur ses travaux et de les commenter pour faciliter et favoriser leur diffusion parmi ses contemporains. Peine probablement perdue en dehors d’une quelconque reconnaissance officielle des institutions, que l’impétrant ne reçut jamais, ni en France, ni outre-Manche. On verra plus loin pourquoi.

Je me propose d’étudier brièvement dans cette communication le point de départ des réflexions de Morgan Kavanagh dont son premier ouvrage donne une représentation assez nette: La Découverte de la science des Langues, contenant Une opinion sur la manière d’opérer d’un esprit humain ; l’explication de la nature réelle des parties du discours et de la signification que tous les mots renferment en eux-mêmes comme leur propre définition ; l’origine des mots, lettres, chiffres, etc., ainsi que les principes fondamentaux de la première religion de l’homme. A Paris, Comptoir des Imprimeurs-Unis, 1844.

Oscillant perpétuellement entre l’anglais et le français, ce texte expose en effet un mélange singulier d’idées issues du rationalisme leibnizien recherchant « l’alphabet des idées », du sensualisme lockien, de la philosophie écossaise (Reid), de l’idéologie à la française de Destutt de Tracy, et de la première philologie dérivée - par Ménage et Turgot interposés - des considérations phonético-étymologiques de Gley ou de Peignot. Le point d’aboutissement de cette pensée composite se situe très vite du côté des mythes et de la religion, car, derrière ces considérations, Kavanagh recherche essentiellement, sans le dissimuler, l’origine du langage donné à l’homme pour communiquer ses pensées.

D’une pensée composite les constituants divers trouvent alors à se ressouder sous l’hypothèse du monogénétisme linguistique d’origine divine que Kavanagh traite, à partir de cet ouvrage de 1844, comme une constante de sa réflexion, tout autant inaliénable qu’audacieuse et novatrice:

« [...;] celui qui ne peut pas parvenir à reconnaître la réalité de la science des langues est née athée: je ne veux pas dire pour cela qu’il soit athée maintenant, ou qu’il ait le moindre doute sur l’existence d’un Dieu, mais ma pensée est que si cette personne était restée jusqu’à présent dans l’ignorance de cette vérité, il serait de toute impossibilité de la lui inculquer, malgré toute son évidence, et cela à cause du défaut d’originalité de son esprit qui se refuse à entrer dans une route nouvelle et n’accepte que celles qui ont déjà été frayées par des milliers de devanciers » (p. 857) [...];

Ainsi en témoigne encore, en 1873, son opuscule An Author his own Reviewer, dans lequel, l’Institut de France, l’Académie française, et, de manière générale, les linguistes contemporains - aussi bien Max Müller que le lexicographe Littré - sont malmenés au nom de leur éclectisme méthodologique que dicte la seule nécessité de se soumettre aux exigences d’une logique déductive, fatalement vaine aux yeux de Kavanagh, dès lors qu’elle ne peut être rattachée à l’existence de Dieu, seul principe garantissant à ses yeux une organisation cohérente du monde.

1° LES DONNÉES DE L’HISTOIRE

1. 1

Prix Volney. Concours de 1847; Concours fermé le 1er mars 1847. Philologie comparée. Valeur une médaille d’or de 1200 fr. Dans la séance du 31 juillet 1846, sont reçus les ouvrages suivants:

N° 1

N° 2

N° 3

N° 4

N° 5

N° 6

N° 7
N° 8

Mr. Morgan Cavanagh et Ch. Joubert (traducteur). - La découverte de la science des langues, 2 vol. in-8° (2)
Mr Malvin Cazal. - Prononciation de la langue française au 19e siècle tant dans le langage soutenu que dans la conversation, un vol. 8°
Mr. J. B. Fontana. - Memoria concernente il sistema teorico-pratico di una linguale universale (manuscrit)
Mr. Sermez. - Histoire de la formation de la langue servant d’introduction au dictionnaire général étymologique (broch. in 8°)
Mr. Alex Pillon. - Synonymes grecs recueillis dans les écrivains des différents âges de la littérature grecque et expliqués d’après les grammairiens, l’étymologie et l’usage, un vol 8°
Mr. Ernest Renan. - Essai historique et théorique sur la langue sémitique en général et sur la langue hébraïque en particulier in 4°
Mr. Vidal. - Écriture universelle (manuscrit)
Mr. Le baron de Kersten. - La Néotypie moitié imprimé, moitié manuscrit.

Ces ouvrages ont finalement été distribués auprès des membres du jury du concours dans la séance du 12 mars 1847, assortis des commentaires mentionnés ci-dessous:

N° 1: Hors de concours (Morgan Cavanagh et Ch. Joubert). La double feuille habituelle relatant officiellement le déroulement de la séance publique annuelle des cinq Académies, le 3 mai 1847, précise: « (cet ouvrage a été retiré du concours à cause de sa date) », puisque le texte de Kavanagh a été publié en volume dès 1844). Les deux parties de ce travail, réunies en un volume, sont déposées à la bibliothèque de l’Institut, sous la cote in-8° O 32 D. L’ouvrage porte la mention manuscrite: Concours Volney 1847, n° 1. Seules les neuf premières pages du premier volume ont été coupées [...];

N° 2: Mérimée; N° 3: Burnouf; N° 4: Mérimée; N° 5: Hasel N° 6: Reinaud; N° 7: Burnouf; N° 8: Burnouf

Ainsi distribués, ces textes sont examinés dans la séance du 26 mars 1847. La délibération a lieu enfin le 9 avril 1847. Et le prix est alors décerné au N° 6, Mr Ernest Renan ; tandis qu’un second prix échoît au N° 5, Mr Alex Pillon.

1. 2. Prix Volney = concours de 1850.

Cette année-là, le concours est déclaré fermé le 1er août. Il cible toujours une discipline intitulée «Philologie comparée» pour l’obtention d’une médaille d’or de la valeur de 1200 frr. Mais il semble n’avoir pas éveillé tant d’intérêt que dans les années antérieures. On pourra s’interroger plus loin sur les causes de cette désaffection conjoncturelle. Ne sont alors effectivement reçus que deux ouvrages:

N° 1 Origin of language and Myths. Manuscrit en anglais de 453 pages, par M. Morgan Kavanagh.

Déposé auprès du secrétariat du concours le 23 juillet 1850, le texte de cet imposant document, rédigé en grosse écriture sur des feuilles de format A5, comporte la mention suivante, manuscrite par l’auteur:

To the French Institute

July 20 1850

As author of the accompanying work entitled the Origin of language and myths, I beg to offer myself as a candidate for the Volney prize to be next awarded by the French Institute
Morghan Kavanagh
28 Dean Street
Soho Square
London.

Sur le f° 3 figure également une mention manuscrite signée de Burnouf (3): Lu 23 Août 1850.

N° 2 Études philologiques et historiques sur l’origine et la formation de la langue française, portant complémentairement cette épigraphe: Indiciis monstet manifestis abdita reum. (horace) [sic.], et la date d’enregistrement du dépôt de document: Le 27 juillet 1850.

Les membres du jury se réunissent lors de la séance du vendredi 9 août 1850, et décident d’attribuer le N° 1 à Burnouf et le n° 2 à Mérimée. Les ouvrages sont alors examinés dans la séance du vendredi 23 août 1850. Il s’agit là très exactement de la date manuscrite consignée par Burnouf sur le manuscrit de Kavanagh, coïncidence qui peut amener à faire douter d’une lecture exhaustive voire partielle de son texte dans l’espace de treize jours. Quoi qu’il en soit, le prix est attribué lors de la « séance du vendredi 11 octobre 1850, à laquelle ont assisté MM. Hase, Reinaud et Burnouf. »

Au cours de cette réunion, pour reprendre les termes mêmes des archives,

« Le procès verbal de la précédente séance est lu, la rédaction en est adoptée.

On entend le rapport de M. Burnouf sur le mémoire n° 2.

La Commission après avoir entendu le résumé des opinions de ses membres décide qu’elle accorde le prix à l’auteur du mémoire n° 2, dans lequel on remarque une excellente méthode et une grande variété de connaissances.

M. Le président ouvre le billet cacheté qui accompagne le n° 2 et y lit le nom de M. Albin de Chevallet, demeurant à Paris rue des beaux-arts, n° 15. »

Morgan Kavanagh, malgré ces insuccès, n’hésite pas à récidiver, sous l’apparence d’ouvrages différents qui, en fait, reprennent perpétuellement le même cercle d’idées obsidionales. Comme je le rappelais en introduction, on peut noter alors cinq autres présentations ultérieures, dont trois immédiatement successives autour du conflit franco-prussien de 1870, que je vais rappeler ici succinctement, au moins par le rappel de l’entourage des autres textes proposés:

1. 3. Prix Volney = concours de 1857.

Kavanagh figure parmi treize autres candidats. Il propose en cette occasion son Myths traced to their primary source through language, publié l’année précédente en deux volumes à Londres, chez Newby.

Ses concurrents sont alors:

1°. L’abbé Eugène van Drival (1815-1887), professeur au grand séminaire d’Arras et membre des Sociétés Asiatiques de Paris et de Londres, auteur d’une Grammaire comparée des langues bibliques dont sont présentées ici les deux premiers tiers.

2°. Pierre Giguet, né sous la Révolution, traducteur d’Homère et auteur d’une Grammaire grecque simplifiée de 309 pages publiée en 1856 chez Dezobry et Magdeleine.

3°. André Janin-Chevalier, maître de pension suisse, traducteur de la Bible, vivant à Genève et auteur d’une Monographie d’un mot [...]; appuyée sur ses connaissances de l’hébreu et de l’arabe.

4°. Louis-Alfred Duvillard, auteur de Recherches sur les Berbères dans lesquelles sont exposées les raisons qui militent pour le rattachement de cette ethnie à une origine indo-européenne.

5°. Olivet, qui, sous l’épigraphe « La lettre tue, mais l’esprit vivifie », dont on pressent bien de quelle origine idéologique elle procède, propose une Philologie comparée en 42 pages manuscrites.

6°. Jean-François Louis Jeantin, de la même génération que Giguet, ancien président du tribunal civil de Montmédy, et auteur d’une Théorie du langage dont est proposé ici l’Exposé préliminaire en 75 pages. Le Journal de Fortoul, ministre de l’Instruction publique, rapporte que Napoléon III considérait Jeantin comme « le fou le plus savant, et qui a voulu réduire en un système unique les langues primitives » [...];

7°. Lorenz Diefenbach (1806-1883), qui publie à Francfort, la même année, chez Baer, un Glossarium latino-germanicum mediae et infimae aetatis e codicibus manuscriptis et libris impressis.

8°. Le Comte Franz Xaver von Miklosisch (1813-1891), tchèque-slovène, professeur ordinaire de langue et littérature slaves à l’université de Vienne, ayant publié chez Braumüller à Vienne, en 1856, une imposante Vergleichende Formenlehre ders slavischen Sprachen de 582 pages qui reprend pour l’essentiel le troisième tome de sa Vergleichende Grammatik der slavischen Sprachen, parue en 1852.

9°. Louis Wihl (1807-1882), qui aurait pu faire partie de la première génération des philologues français s’il n’était allé parfaire déjà son instruction à Krefeld, Cologne, Bonn et Munich. Mais, Juif, Wihl ne put jamais obtenir de poste dans l’université allemande, malgré la dissertation soutenue en 1830 dans laquelle il soutenait que le phénicien dérivait de l’hébreu. Revenu en France lors de la révolution de 1848, ce passeur d’idées enseigna l’allemand dans les lycées de Grenoble et de Laval, avant de partir s’établir à Bruxelles à la faveur de la guerre de 1870. Le texte de 59 pages présenté en 1857 s’intitule Les Pélasges. Recherches historiques et linguistiques [...];

10°. Jean-Bernard Mary-Lafon (1812-1884), membre influent de la Société des Antiquaires de France, qui présente alors, étant originaire de Montauban, un Glossaire historique et comparatif du dialecte néo-latin Parlé dans le Bas Quercy ou département de Tarn et Garonne, de 300 pages [...];

11°. Léon Louis Lucien Prunol de Rosny (1837-1914), élève au moment du concours de l’École des Langues Orientales Vivantes, botaniste, mais également américaniste, sinologue et japanisant qui fut d’ailleurs l’initiateur du premier enseignement en France de japonais, et le fondateur en 1877 de l’Institution ethnographique appelée à devenir l’Alliance scientifique universelle. Rosny propose alors un Mémoire sur la nature et sur les origines de la langue chinoise [...]; de 40 pages.

12°. L’abbé Charles Leguest (1824-1863), d’origine dieppoise, prêtre du diocèse d’Alger où il apprit l’usage de l’arabe, auteur d’un Mémoire sur la formation des Racines sémitiques de 216 pages [...];

C’est alors le Comte Miklosisch qui remporte le prix, étant le seul des concurrents à répondre finalement aux ambitions générales du prix Volney sur la base de connaissances linguistiques non hypothétiques. Kavanagh, pris dans les rets d’une mythographie sournoise ne parvient guère encore à retenir l’attention du jury, et semble avoir quelque mal à se remettre de sa déception, puisqu’il faut attendre douze ans pour voir son nom reparaître:

1. 4. Prix Volney = concours de 1869.

Entre deux pointes correspondant à respectivement treize et onze ouvrages présentés aux concours qui l’entourent immédiatement, la session de 1869 voit la soumission de seulement 8 textes aux membres du jury. Morgan Kavanagh, enregistré comme quatrième candidat, y présente pour la première fois la version française de son Origine du langage et des mythes.

1°. Anton Schmitt (1801-1876), Allemand, professeur de philosophie, propose un opuscule de 95 pages rédigé et publié à compte d’auteur à Maïence en 1866: Einfacher Plan zur Systematisierung verschiedener Special-Alphabete für Missions-Gesellschaften, eines Universal-Alphabets für alle Sprachen un einer Pasigraphie oder Verständigungs-Schrift für alle Nationen, dans lequel l’auteur rejoint les préoccupations d’écriture universelle.

2°. Reinhart Pieter Anne Dozy (1820-1883) et Willem Herman, érudits néerlandais - Dozy étant spécialisé en lexicographie arabe et histoire de l’Espagne - ayant rédigé un Glossaire des mots espagnols et portugais dérivés de l’arabe, de 424 pages, que publie le célèbre éditeur antiquitiste Brill.

3°. Eugène-André Garcin (1830-1909), propagandiste de la renaissance du provençal et républicain vivement anti-clérical à l’époque de la Commune, ayant exercé des fonctions d’enseignement à Tarascon puis au Collège Lavoisier à Paris, auteur de l’ouvrage de 83 pages publié chez Didier en 1868 sous le titre Les français du Nord et du Midi [...]; dans lequel commence à poindre une distinction appelée peu après à connaître un grand succès critique entre français et langue française.

4°. Pierre Henri Joseph Baume (1797-1875), sur lequel planent bien des conjectures, soumettant un Extrait succinct de l’Essai d’Alphabet général, harmonique et économique européo-arabe de 9 pages, dans lequel il demeure difficile de percevoir nettement les traces d’une réflexion véritablement linguistique.

5°. Rémy Armand de Vertus (1824-1877), philologue attiré par le fantastique, auteur d’un opuscule de 83 pages publié à Paris, chez Maisonneuve, en 1868 et intitulé La langue primitive basée sur l’idéographie lunaire, principe des idiomes anciens et modernes, qui reflète assez bien les préoccupations ésotériques de cet érudit dont les recherches concernant la langue primitive, la religion et les coutumes rencontrent pour une part celles de Kavanagh.

6°. George Stephens (1813-1895) Danois d’origine britannique, qui se signala par ses travaux d’archéologie sur les runes, présente alors son texte le plus célèbre, publié à Londres en deux volumes chez J. R. Smith, entre 1866 et 1868: The Old-Northern Runic Monuments of Scandinavia and England, now first collected and deciphered [...];

7°. Arthur Loiseau (1830-1903), professeur au lycée d’Angers soumet la thèse en latin De Modo subjunctivo. Hanc grammaticam, historicam et philosophicam disquisitionem, qu’il soutint en Sorbonne en 1866, parallèlement à une thèse complémentaire portant sur la grammaire de Jean Pillot et les doctrines grammaticales françaises à la Renaissance.

Dans cet ensemble le travail de Kavanagh s’inscrit donc logiquement parmi ceux qui traitent de la question pourtant prohibée depuis 1866 par la Société de Linguistique de Paris de l’origine du langage et des langues. On verra en conclusion que penser de cette obstination.

1. 5. Prix Volney = concours de 1870.

Le conflit franco-prussien en devenir n’empêche pas les candidats d’être très nombreux à cette session, et, en outre, d’origines fort variées:

1°. L’Abbé Jean-Pierre Paulin Martin (1840-1890), curé de Sainte-Geneviève à Paris et de Saint-Louis des Français à Rome, chanoine honoraire de Cahors, qui s’intéresse particulièrement aux problèmes de ponctuation, et propose alors trois ouvrages: Tradition Karkaphienne, ou la Massore chez les Syriens, Paris, Imprimerie Impériale, 1870, et ses prédécesseurs immédiats: Jacques d’Edesse et les voyelles syriennes, Paris, id., 1869, ainsi que: Jacobi episcopi edesseni. Epistola ad Georgium episcopum Sarugensem de orthographia Syriaca, Paris, Klincksieck.

2°. Johan Nikolai Madvig (1804-1886), classiciste et philologue danois, professeur à l’Université de Copenhague, qui, par l’intermédaire de la traduction de Jean-François Napoléon Theil (1808-1878), présente sa Grammaire latine, Paris, Firmin-Didot, 622 pages.

3°. Jean-Bernard Lafon, dit Mary-Lafon (1812-1884), auteur d’un Tableau historique et comparatif des noms propres français de 250 pages, qui sera malheureusement exclu de la compétition.

4°. Auguste Brachet (1844-1898), disciple de Diez et de Littré, professeur d’histoire de l’Impératrice Eugénie, et célèbre pour ses travaux de linguistique romane, présente son Dictionnaire étymologique de la langue française, préfacé par Émile Egger, publié chez Hetzel.

5°. Graziadio Isaia Ascoli (1829-1907), comparatiste italien formé par Luzzatto et Cattaneo, spécialiste de philologie sémitique et indo-européenne, professeur à Milan depuis 1861, et détenteur de la première chaire italienne de linguistique comparée, présente le premier fascicule de son Corsi di glottologia dati nella Regia Accademia Scientifico-Letteraria di Milano, soit: Lezioni di fonologica comparata del sanscrito, del greco e del latino, publié à Turin et Florence chez Loescher.

6°. L’Abbé Charles-Étienne Brasseur de Bourbourg (1814-1874), tout d’abord écrivain politique de tendance libérale et romancier, devint prêtre à l’âge de 34 ans et fut alors envoyé au Québec, puis au Guatémala où il devint l’administrateur clérical des indiens de Rabinal, avant de participer à l’expédition française au Mexique des années 1860-1864. En tant qu’américaniste, Brasseur de Bourbourg avait proposé au concours de 1862 une Collection de documents dans les langues indigènes pour servir à l’étude de l’histoire et de la philologie de l’Amérique ancienne, à savoir une étude sur le Popol Vúh. Le livre sacré et les mythes de l’antiquité américaine, publié à Paris, chez Durand, dès 1861, et une Grammaire de la langue Quichée. - Suivie d’un Vocabulaire et du drame de Babinal-ahi, publié chez le même éditeur l’année suivante. En 1870 il revient sur un Manuscrit Troano. Étude sur le système graphique et la langue des Mayas, dont les deux volumes sont publiés en 1869-70 par l’Imprimerie Nationale.

7°. Johann August Vullers (1803-1880), Universitaire allemand, spécialiste des langues arabiques, persanne et turque, présente sa Grammatica linguae persicae cum dialectis antiquioribus persicis et lingua sanscrita comparatae, publiée en huit volumes à Gießen, chez J. Ricker.

8°. Charles Staniland Wake (1835-1910), anthropologue anglais établi aux Etats-Unis, féru des rapports entre les religions et l’évolution des sociétés, propose un opuscule de 53 pages et deux feuilles de tables, intitulé The relation of The Malagasy to the other languages of the old world tropical area.

9°. Israel Jehiel Michael Rabbinowicz (1818-1893), érudit d’origine russe, instruit dans la tradition du Talmud, qui étudia successivement la médecine et la philologie à Bratislava, et publia dès 1854 une Grammaire hébraïque, Grünberg, Levysohn, fournit les 400 pages de texte de sa Grammaire de la langue latine, raisonnée et simplifiée d’après de nouveaux principes, expliquant le latin par les règles de la langue française, Paris, Parent, 1869, dont l’intérêt - dans le cadre de l’époque - est surtout pédagogique.

10°. Monseigneur Aloïse Kobès (1820-1872), membre de la Congrégation du Saint Esprit et du Sacré Cœur de Marie, missionnaire en Sénégambie, puis en Afrique de l’Ouest, est l’auteur d’une Grammaire de la langue volofe en 300 pages, imprimée en 1869 à Saint-Joseph de Ngasobil.

Là encore, la situation de Kavanagh se trouve précisée par l’entourage des préoccupations dont témoignent les ouvrages présentés autour de lui au concours. Entre langues antiques soigneusement étudiées et langues exotiques non moins rigoureusement décrites, les travaux ésotériques de Kavanagh et notamment les principes abstrus de son étymologie ne peuvent guère trouver à être reconnus comme originaux et d’importance essentielle.

1. 6. Prix Volney = concours de 1871.

Les conditions historiques de ce concours - défaite de Sedan, abdication de Napoléon III le petit, Commune de Paris - limitent sensiblement le nombre des candidats au concours. Kavanagh figure toujours pour son Origin of Language and Myths, en 2 volumes, publié à Londres dans une édition augmentée chez Sampson Low, Son and Marston, à côté de Rabbinowicz qui soumet de nouveau sa Grammaire de la langue latine, raisonnée et simplifiée [...];

Un seul candidat réellement nouveau se présente:

Paul Hecquet-Boucrand (1827-1896), spécialiste de toponymie et de la religion hindoue propose les 258 pages d’un Dictionnaire étymologique des noms propres d’hommes contenant la qualité, l’origine et la signification des noms propres se rattachant à l’histoire, à la mythologie, des noms de baptême, publié en 1868 à Paris, chez Sarlit..

Par où l’on voit une fois encore le caractère opiniâtre de Kavanagh en contexte d’intérêts scientifiques nettement différentiels. Un an avant sa mort, notre Irlandais, qui, depuis 1869, vivait à Paris dans le quartier des Batignolles, 95, rue Mollet, se re-présente une dernière fois parmi neuf autres candidats. Mais avec une sorte d’ouvrage dont le jury n’a pas l’habitude, puisqu’il s’agit en quelque sorte d’un plaidoyer en faveur de la véracité et de la valeur des hypothèses formulées et des thèses soutenues dans ses deux précédents ouvrages.

1. 7. Prix Volney = concours de 1873.

Sous un titre évocateur dans sa concision d’un double phénomène physique et psychologique de crispation et de condensation: An Author his own Reviewer, Kavanagh, qui, le 24 mars 1873, d’une mention manuscrite, rappelle au jury son adresse londonienne du 13 Ashburton Grove Holoway London, propose désormais une sorte d’apologie de ses œuvres teintée des reflets d’un amer pamphlet, sur laquelle je reviendrai dans un instant. L’épigraphe, empruntée aux saintes écritures, est sans ambages: « Prove all things ; hold fast that which is good. » 1 Thess. V. 21 et résume autant qu’elle illustre la portée du propos inlassablement tenu depuis 1844 [...];

Les autres candidats, dont certains se trouvent dans la même situation de re-présentation que Kavanagh, sont nommément:

1°. Louis-Benoît Désiré de Baecker (1814-1896), juriste français, expressément monarchiste, qui s’enticha d’études historiques et devint une autorité en ce qui concerne la langue et les antiquités flamandes, qu’il enseigna à la Sorbonne en 1867 et 1868 comme enseignant extraordinaire. Baecker défendit les idées de Gobineau. Et proposait cette année-là, en 68 pages, un Essai de grammaire comparée des langues germaniques. Phonétique. Formation des mots. Le nom en sanscrit, gothique, haut-allemand, bas-allemand, anglo-saxon, anglais, néerlandais, frison, norrois, norwégien, islandais, suédois et danois, publié à Paris chez E. Thorin.

2°. L’Abbé Germain Pont, curé de Saint-Jean de Belleville en Savoie, qui, dans la tradition bien établie depuis les années 1810 des ecclésiastiques soucieux d’étudier les patois des paroisses dans lesquelles ils exerçaient leur ministère, tente de placer une nouvelle fois son étude Origines du patois de la Tarentaise, ancienne Kentronie. Précis historique, proverbes, chansons, parallèles avec le patois de la Suisse romande, déjà proposée à un congrès de sociétés savantes, à Rouen, en 1865, puis au concours de 1868, et qui bénéficie enfin ici d’une édition livresque en 151 pages, sous le label de Maisonneuve, Paris, 1872.

3°. L’Abbé Paul-Hubert Perny (1818-1907), membre de la Congrégation des Missions Étrangères jusqu’en 1872, fut d’abord vicaire à Besançon avant d’être responsable de l’évangélisation du Se-tch’ouan, dont il importa en France, à son retour, les modes d’être et de paraître, ce qui lui valut d’être emprisonné sous la Commune de Paris, jusqu’à ce que son ami, Jean-Pierre Guillaume Pauthier (1801-1873) réussît à émouvoir ses geôliers par une pétition qu’avait signée tous les membres de la Société Asiatique de Paris [...]; Sinologue avéré, Perny propose au jury un ensemble de quatre volumes: Dictionnaire français-latin-chinois de la langue mandarine parlée, de 459 pages, publié à Paris, chez Firmin-Didot en 1869 ; puis l’Appendice du dictionnaire français-latin-chinois de la langue mandarine parlée, contenant une notice sur l’Académie impériale de Pékin, une notice sur la botanique des Chinois, une description générale de la Chine, publié en 270 et 173 pages, à Paris, chez Maisonneuve au début de 1872 ; des Dialogues chinois-latins traduits mot à mot avec la prononciation accentuée, Paris, Leroux, 1872, en 232 pages ; et enfin des Proverbes chinois recueillis et mis en ordre, déjà publiés par Firmin-Didot, en 135 pages, courant 1869 [...]; On conçoit que cet ensemble composite mais fondé sur des témoignages tangibles puisse laisser supposer que les travaux de Kavanagh relèvent pour leur part d’une science beaucoup plus spéculative.

4°. Étienne de Campos Leyza, probablement français, mais sur qui les informations manquent, se présente avec une Clef de l’interprétation hébraïque, ou analyse étymologique des racines de cette langue, pour servir à l’histoire de l’origine et de la formation du langage, rédigée en 611 pages que publie en 1872 à Bordeaux l’Imprimerie générale d’Émile Crugy. Ouvrage qui rencontre sous certains aspects telle ou telle préoccupation mystagogue de Kavanagh [...];

5°. L’Abbé Jean-Pierre Paulin Martin (1840-1890), déjà candidat en 1870, qui adjoint entre autres aux deux ouvrages présentés alors un Essai sur les deux principaux dialectes syriens orientaux et occidentales, en deux volumes édités chez Maisonneuve à Paris, en 1872, et les Œuvres grammaticales d’Abou’l Faradj, dit Bar Hebraeus, également en deux volumes chez Maisonneuve à Paris, 1872.

6°. Joseph Halévy (1827-1917), Épigraphiste et spécialiste du Sabéen, né en Turquie mais naturalisé français en 1865, ultérieurement directeur d’étude à l’École Pratique des Hautes Études où il enseignait l’éthiopien et le Sabéen, propose un Essai d’épigraphie libyque qui sera publié plus tard dans le Journal Asiatique, Série 7, Février-Mars 1874, pp. 73-203, et qui, retravaillé, devait donner naissance aux Études berbères. Première partie, de l’Imprimerie Nationale, 1875, en 181 pages.

7°. Michel Israel Jehiel Rabbinowicz (1818-1893), renouvelle alors la soumission de sa Grammaire latine simplifiée, exclue du concours par le jury au motif que sa publication imprimée remontait à 1869.

8°. Grasset d’Orcet, archéologue et historien ayant accompagné Renan et de Voguë lors de leurs missions au moyen Orient en 1861 et 1862, enregistré au concours comme vivant à Chypre depuis plusieurs années, propose en manuscrit un Mémoire sur le cratère d’Amathonte [...;] deux épigraphes chypriotes, dont l’une en caractères grecs trouvées à Soléa, et les celliers funéraires de Palai-Paphos explorés en 1856.

9°. Francis Louis Meunier (1824-1874), philologue et linguiste qui indexa la traduction de la Grammaire comparée de Bopp, et qui fut membre de la Société de Linguistique de Paris depuis 1867, propose en manuscrit un ouvrage intitulé Les Composés qui contiennent un verbe à un mode personnel en latin, en français, en italien et en espagnol, qui sera publié posthume en 1875 par l’Imprimerie nationale, à Paris, avec une préface d’Émile Egger. Ce travail obtint de partager le prix de 1873 avec les ouvrages présentés par Joseph Halévy. Mais il est plus significatif de noter qu’à côté de cette recherche de linguistique comparée proprement dite, Meunier donnait également à lire des Études de grammaire comparée. Les composés syntactiques en grec, en latin, en français, et subsidiairement en zend et en indien, publiées à Paris chez Durand et Pedone-Lauriel, en 1873, ainsi qu’un opuscule de 51 pages: De quelques anomalies que présente la déclinaison de certains pronoms latins, publié dès 1869, chez Lainé et Havard, comme un tirage à part des Mémoires de la Société de Linguistique de Paris, 1868, I, pp. 14-62.

De mon exemplaire personnel des Composés [...]; publiés par Meunier, j’extrais ces lignes:

« J’appelle composés syntactiques ceux dont le premier membre est à un cas, au cas voulu par la syntaxe, en opposition avec les composés ordinaires, ceux dont le premier membre est un thème, c’est-à-dire le cas général. [...;] Je pars d’un principe unique: ces composés sont nés de phrases complètes, dont on a laissé de côté quelque chose, tantôt le sujet, tantôt le régime direct, tantôt le régime indirect en totalité ou en partie. Le problème consiste à retrouver la phrase-mère. Cette phrase retrouvée, rien de plus facile que de dire à quel mode est le verbe du composé et si le substantif est sujet ou régime. [...;] La manière dont M. Littré a traité les composés qui contiennent un verbe ne laisse rien à désirer en ce qui concerne la question orthographique. Comment faut-il les écrire, tant au singulier qu’au pluriel ? C’est ce qu’il a exposé avec tant de soin, que je ne vois pas ce qu’on pourrait ajouter à ses explications. Mais à quel mode est le verbe contenu dans le composé ? Est-il à l’indicatif, ou à l’impératif ou au subjonctif ? Quel rôle joue le substantif dans le composé ? Est-ce celui de sujet, de régime direct ou de régime indirect ? Autant de questions qu’il n’a pas résolues, du moins pour la plupart des cas. Cependant un dictionnaire étymologique, comme est le sien, devrait contenir une réponse à chacune de ces questions. J’ai essayé de résoudre les difficultés » [pp. ix-xi]

Par où l’on voit nettement me semble-t-il toute la portée du travail de Meunier, qui est de critiquer la thèse déjà ancienne de H. Weil [1844] sur l’ordre des mots dans les langues anciennes et les travaux trop rapides de la lexicographie de Littré et de ses émules. Nous sommes là dans une double configuration épistémique et épistémologique entièrement différente de celle dans laquelle Kavanagh s’inscrit encore avec obstination, opiniâtreté ou peut-être inconscience et naïveté. Dans ces conditions théoriques et critiques, l’insertion historique de l’œuvre de Kavanagh parmi ses contemporains ne peut d’emblée que sembler rétrograde et idéologique [...]; Au sens le plus mauvais sens du terme, à savoir celui qui en fait l’expression de l’hostilité déclarée la plus forte à l’endroit de la métaphysique [...]; Mais, même précédée d’une semblable recommandation qui pourrait n’être au fond qu’un préjudice, peut-être l’œuvre de Kavanagh est-elle encore capable de nous intéresser et de nous apprendre quelque chose de l’évolution des idées sur le langage au tournant des années 1840-1850.

 

2° LA DÉCOUVERTE [...]?
2. 1. Je passerai non moins rapidement sur les circonstances de publication de cet ouvrage, que Kavanagh donne dès la Préface comme une sorte d’éternel Work in progress [...]: « Cet ouvrage s’est augmenté de moitié pendant le court intervalle de temps qui s’est écoulé depuis la livraison à l’imprimeur du manuscrit primitif , jusqu’au jour de sa publication », insistant par ailleurs sur le caractère original d’une traduction simultanée en français:

1° « [...] commencée à Paris en même temps que l’ouvrage lui-même, elle a été mise sous presse à la même époque, et ne s’est terminée qu’au fur et à mesure de l’envoi des épreuves anglaises, qui étaient traduites aussitôt que reçues et imprimées aussitôt que traduites » [...]

Il s’ensuit une sorte de constante interaction entre la langue anglaise et la langue française dont le texte de l’ouvrage porte extensivement la marque dans les exemples qu’il allègue.

2. 2. En revanche l’organisation du volume mérite qu’on s’y arrête un peu plus ; Après avoir rappelé la « précipitation qui entoure les productions de l’esprit », Kavanagh mentionne l’unité d’un ouvrage qui, toutefois, se compose bien de deux parties distinctes. Dans la première, l’accent est initialement porté sur les conditions philosophiques sous lesquelles l’étude du langage se présente à l’auteur. Au terme de cet exposé préliminaire Kavanagh conclut sur l’idée que « la science de la grammaire nous a jusqu’à présent été complètement inconnue » [...]. Ce qui est probablement une manière provocante de révoquer l’historiographie d’une discipline et l’accumulation des matériaux à laquelle ont procédé depuis le XVIe siècle les vieilles traditions logique (issue de Port Royal), puriste (dérivée de Vaugelas), normative (héritée de Bouhours), ou descriptive (accréditée par les remarqueurs).

Prenant ensuite les exemples des substantifs, des pronoms personnels et de l’adjectif, l’auteur se plaît à souligner combien ces parties du discours ont été - à son avis - mal étudiées jusqu’alors.

2. 3. Il propose en conséquence:

a) une nouvelle définition et une présentation inédite des parties du discours dans laquelle les substantifs « sont seulement des noms au quatrième degré ».

b) une réévaluation du statut et des fonctions du pronom.

c) une confirmation de ce que, dans cette modélisation, « le verbe est un adjectif ou nom au quatrième degré » [...];

d) une reconstitution des conditions dans lesquelles « les hommes devaient s’exprimer aux premières époques du monde, lorsqu’ils avaient occasion d’employer le verbe être » [...]; Et enfin,

e) une confirmation de l’importance essentielle des étymologies « qui expliquent les accroissements successifs des langues, ainsi que la confusion qui se répandit sur les premiers mots des hommes » [...];

2. 4. Avec cette dernière expression, et avant même de s’engager dans la deuxième partie de l’ouvrage, on peut comprendre quel est l’objectif caché de l’analyse de Kavanagh [...]; Derrière un appareil conceptuel de type philosophique et une ambition avouée de nature « philologique », c’est bien une phylogénèse du langage qu’envisage de décrire l’auteur, entée sur des considérations métaphysiques et même théologiques, puisque celui-ci va même jusqu’à affirmer que son travail permet de retrouver « cette sagesse divine qui, pendant tant de siècles, est restée enfouie dans les mots » [p. 855]. La suite du texte expose sans ambages ce dessein général qui conduit Kavanagh à prendre systématiquement le contrepied de la plupart des évidences reçues en grammaire. Dans ce qu’il est bien nécessaire de nommer le fouillis de son argumentation et de ses exemples, notre auteur est ainsi amené à

f) assurer qu’« aucune langue n’est dérivée d’une autre » à partir de l’observation selon laquelle « Notre et Votre ne viennent pas des mots latins noster, vester ».

g) montrer que « tous les mots sont formés à l’aide d’un nombre très restreint de syllabes radicales ».

h) rappeler la « sagesse extraordinaire qui - à son avis - se révèle dans la formation des mots », prenant comme exemple les mots man, woman, Adam, animare, animal, animation, beget, amo, Venus, shame, honte, etc. Je reviendrai plus loin sur ces exemples.

i) exposer les raisons pour lesquelles on trouve « dans l’explication des caractères de l’alphabet grec, celle de tous ceux des autre langues ». Et enfin à

j) revendiquer pour sa découverte une universalité d’intérêt qui doit la faire reconnaître comme telle par les « mathématiciens, théologiens, grammairiens, lexicographes, logiciens et philosophes » [...]; avant de dénoncer in extremis

k) les « esprits qui ne sont pas capables d’accepter par eux-mêmes un nouvel ordre d’idées » [...];

Comme la rédaction de l’ouvrage est-elle même de construction diffuse et son expression souvent tellement abstraite qu’elle en semble abstruse, le lecteur peut se demander quelle est donc cette découverte si extraordinairement fondamentale. La réponse à une telle question n’est pas difficile à trouver, puisque Kavanagh plaide explicitement en faveur de l’idée selon laquelle tout un chacun, par introspection et analyse du fonctionnement de l’esprit, est en mesure de procéder à l’analyse du langage:

2° « La science de la grammaire n’est pas comme l’astronomie, ou la chimie, que peuvent aborder seulement quelques-uns d’entre nous ; [...;] le peu de connaissances qui sont regardées comme nécessaires pour faciliter à toute personne l’examen de ses principes, la rend accessible non seulement aux hommes d’un esprit supérieur et d’un grand savoir, mais encore à la multitude » [...]; [p. 8]

2. 5. Ce postulat de départ amène Kavanagh à dénoncer « l’état actuel de la grammaire » et à « montrer la confusion qui y règne », pour mieux assurer la teneur du projet philosophique et philologique dont il se sent porteur, qui consiste au fond à trouver par introspection spéculative la raison de toute chose dans le sentiment de l’existence d’un principe organisateur universel pour lequel le terme de dieu peut être choisi comme étiquette. Derrière cette recherche, c’est donc le rapport du mot au monde qui se trouve réévalué dans le sens d’une justification intrinsèque contrevenant au principe général d’arbitrarité que la tradition aristotélicienne, bien avant Saussure, avait mis en évidence comme un des fondements de la sémiologie interne du langage:

3° « [...;] par l’application du principe par lequel je suis guidé, [...;] outre la forme présente et antérieure des mots, on peut expliquer le sens qu’ils renferment en eux-mêmes à l’insu de tout le monde, sens qui est leur propre définition. Car je me suis convaincu que les hommes, lorsqu’ils formèrent les premiers mots, ne les appliquèrent pas au hasard, mais raisonnèrent exactement comme ils raisonnent maintenant lorsqu’ils donnent un nom à un objet ; c’est-à-dire que chaque mot était fait de manière à ce qu’il s’expliquât lui-même, de sorte que leur emploi ne nécessitait jamais aucun éclaircissement »

La remarque mérite d’être soulignée car elle renferme d’une part l’exposition d’un principe épistémique: le caractère nécessairement intrinsèque de l’élucidation des difficultés du langage ; et, d’autre part, et d’autre part l’exposé d’une méthode de travail:

4° « Lorsque j’aurai, par l’application de mon système, expliqué ainsi toute espèce de mots depuis leur état actuel jusqu’à leur forme native, je rechercherai la nature des lettres elles-mêmes, et je ferai connaître leur origine ainsi que la manière dont elles furent formées: ainsi je donnerai le sens littéral des noms qui appartiennent à toutes les lettres de l’alphabet grec dont les savans n’ont rien su nous dire jusqu’à présent ; car ils ont été assez simples pour supposer que des noms aussi longs que alpha, béta, gamma, delta, epsilon, etc., avaient été arbitrairement donnés à ces lettres, sans qu’aucune signification leur eût été attachée parles hommes éminemment sages qui les composèrent et le rangèrent dans l’ordre qu’elles occupent encore maintenant. Cette explication de l’alphabet grec conduira à celle de tous les autres, pourvu qu’on y ait conservé les noms primitifs des lettres ou à-peu-près ».

Le projet se révèle ici de manière un peu plus lisible: il s’agit pour Kavanagh de retrouver dans le nom des unités de l’alphabet le principe dénominatif organisateur du monde verbal, qui reproduit lui-même l’organisation de l’univers sous l’hypothèque d’un principe déiste:

5° « Je montrerai dans l’endroit convenable pour cela comment cette signification peut être retrouvée dans ces caractères, et je ne doute pas que cette partie de ma découverte ne jette une grande lumière sur l’histoire religieuse et civile des plus anciens temps. [...;] J’ai l’intention de donner vers la fin de cet ouvrage de nombreux exemples de la marche à suivre pour analyser les mots afin de retrouver leur sens caché. »

2. 6. L’ambition est donc celle d’un dévoilement qui, dès l’abord, place la réflexion de Kavanagh dans la lignée des élucubrations mystagogues qui n’ont cessé de proliférer en Europe, entre le XVIe siècle et l’époque de notre auteur, autour du développement d’une pensée rationnelle du langage. Sans remonter aux origines, qu’il me soit ici permis de citer pour la fin du XVIIIe siècle et les débuts du suivant les noms de:

- sur le versant anglais: Rowland Jones déjà auteur en 1764 d’un The Origin of Language and Nations ; John Cleland, avec The Way of Things by Words and to Words by Things ; Being a Sketch of an Attempt at the Retrieval of the Ancient Celtic [...]; en 1766 ; ou James Parsons, qui écrivait en 1767 Remains of Japhet. Being Historical enquiries into the Affinity and Origin of the Euyropean Languages [...];

- sur le versant français: Antoine Court de Gébelin, avec son Histoire naturelle de la parole ou Grammaire universelle à l’usage des jeunes gens, de 1776, ainsi que son plus célèbre Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne ; considéré dans son génie allégorique et dans les allégories auxquelles conduisit ce génie [...]; de 1773-1782 ; ou Louis-Claude de Saint-Martin, dont on connaît le Cahier des langues, publié jadis par R. Amadou (4), voire Antoine Fabre d’Olivet, rendu célèbre par La langue hébraïque restituée, et le véritable sens des mots hébreux rétabli et retrouvé par leur analyse radicale, de 1815.

2. 7. Ces travaux, stimulés également par la théosophie et le celticisme naissant, quoique différents dans leur esprit et dans leurs propres desseins, trouvent à se réunir dans le partage de conceptions lexico-métaphysiques, voire cabalistiques, et une commune tentation de dévoiler les mystères de la langue originelle. A côté de la postulation phylogénétique, qui tend à dresser une généalogie et à décrire des enchaînements, c’est donc aussi l’hypothèse biblique du monogénétisme linguistique qui se trouve réactivée. Morgan Kavanagh, sous cet aspect là, se révèle très proche des idées développées par Fabre d’Olivet, et ne déroge donc pas. Il note d’ailleurs:

6° « A mesure que j’ai lu dans les mots, j’ai vu s’affermir en moi l’opinion que j’eus d’abord, qu’il n’y avait aux temps dont je parle qu’une seule langue, ainsi qu’on le dit dans la Bible: « Alors toute la terre avait un même langage et une même parole (Genèse, xi, 1) » ; et que l’hébreu, le grec et le latin, aussi bien que les langues modernes qu’on suppose en être dérivées, ne sont que des dialectes de cette ancienne langue » [p. 564]

Toutefois, la singularité des conceptions de Kavanagh, comme on peut le lire ici, se marque dans l’idée assez complaisamment développée, au demeurant, selon laquelle l’hébreu est lui-même une langue dérivée, comme le latin ou le grec, d’une langue primitive antérieure à Babel. De telle sorte que l’hébreu n’est plus considéré comme la langue du paradis originel, celle dans laquelle Adam aurait nommé les animaux [...]; On s’amusera en conséquence à noter que pour tenter d’illustrer les premiers éléments de cette langue pré-adamique, Kavanagh a constamment recours à des items de la langue anglaise ! [...];Fortement influencé - quand bien même il s’agit de critiquer - par les Diversions of Purley (1786) de John Horne Tooke (1736-1812) (5), dont le nom revient fréquemment dans ses propres pages à côté de ceux de Locke, Du Marsais, Condillac ou Sir Charles Stoddart, notre auteur oriente ainsi l’expression de ses conceptions sémiologiques vers une sorte de mixte curieux associant un étymologisme de nature spiritualiste à une épistémologie de type matérialiste ; ce qui lui fait assumer - non sans quelques difficultés ! - une position critique à l’égard de la philosophie générale, ou plus exactement à l’égard de la génération des idées telle qu’on peut se la représenter à travers la théorie de Locke:

7° « [...;] l’esprit (mind) de l’homme pendant qu’il est sur la terre est matériel comme tout ce qui est ici bas, et son immatérialité et immortalité ne commencent qu’après la mort lorsque l’esprit humain devient âme, sur laquelle, à cause de sa nature divine, nous ne pouvons avoir qu’une très-faible idée tant que nous sommes dans notre état d’ignorance actuelle ; de sorte que soutenir que notre esprit est la même chose que notre âme est le comble de la vanité, en même temps que le raisonnement le plus faux. [...;] Quant à moi, je sépare radicalement l’âme de l’esprit. Laissons donc à son existence toute divine cette création sur laquelle nous n’avons rien à apprendre. »

A la lumière de ce que nous connaissons aujourd’hui des mécanismes du cerveau et de la pensée, les idées développées par Kavanagh entre 1840 et 1850 sur leurs modes de fonctionnement laissent ainsi paraître une subsistance des thèses de l’Idéologie qu’implémenteraient de vagues prémonitions de notre cognitivisme contemporain:

8° « J’ai démontré que l’esprit est une substance matérielle douée du pouvoir de penser, et agissant en conséquence de ce pouvoir parle moyen des nerfs sur presque toutes les parties du corps; de même qu’il en reçoit des impressions par les mêmes moyens.

[...;] le cerveau a, dans son pouvoir de recevoir des impressions, une prodigieuse variété, et peut-être n’est-il pas de créature vivante qui, dans tout le cours de son existence, ait reçu deux fois la même impression. » [p. 143]

La tendance n’est pas nouvelle à cette époque, et Morgan Peter Kavanagh n’en est certes pas un représentant isolé ; la lutte entre esprit de système et l’attention scrupuleuse portée à l’observation de faits constatés se livrent alors, dans le champ de l’épistémologie, une lutte sans merci. A titre de plaisante dénonciation, je rappellerai simplement le texte ironique que Victor Cherbuliez signe, justement en 1858, dans un des feuilletons de la Revue Critique des Livres Nouveaux qu’il anime de son esprit, et qui consacre une part non négligeable de ses activités aux ouvrages de langue ou portant sur le langage. Dans ce petit texte, Cherbuliez moque la prétention de la réaction catholique à se mêler de linguistique, visant particulièrement Bonald et de Maistre, mais aussi nombre de plus ou moins obscurs, tel notre Kavanagh. Fidèle à la ligne de pensée de la Revue critique, il marque là très précisément une nette distinction entre “l’esprit de système” et “l’investigation attentive et scrupuleuse des faits” (p. 206), c’est-à-dire la méthode:

« D’ailleurs quel profit attendre des raisonnements les plus ingénieux du monde, quand les prémisses sont fausses et les questions mal posées? On disputerait cent ans si l’âme est verte ou jaune, sans que cela fît faire un pas à la psychologie, et les érudits qui firent de gros traités pour décider si le monde avait été créé un vendredi à quatre heures de l’après-midi, ou un samedi dans la soirée, ont médiocrement avancé les affaires de la philosophie de la nature. »

3 DE LA DÉCOUVERTE À SON APPLICATION [...]
3. 1. Semblable conception trouve immédiatement son application pour Kavanagh dans le domaine du langage, qui donne à lire le travail d’abstraction et d’épuration que réalise la sémiologisation des perceptions dans et par les signes spécifiques d’une langue:

9° « Si l’on observe maintenant que les mots par lesquels les hommes s’efforcent de communiquer leurs impressions mentales ne varient pas selon ces impressions ; si l’on remarque que, faisant mille fois dans notre vie allusion à une montagne, le nom sera toujours le même, quoique nous ayons voulu exprimer les mille impressions différentes que nous devons avoir reçues en prononçant le mot montagne ; on reconnaîtra que ce mot, ayant toujours dans notre langue la même forme et la même signification, ne peut avoir pour rôle que d’indiquer très grossièrement nos idées »

Il s’ensuit un relativisme général contrevenant à la représentation d’un langage dans lequel les contenus des signes seraient gagés par une sorte de parité fixe de la chose et du concept dont grammaires et dictionnaires de chaque langue gageraient la stabilité:

10° « [...;] toute personne qui fait quelque attention à la manière variée dont son esprit agit, doit reconnaître à l’instant que le mot, ayant toujours dans notre langue la même forme et la même signification, ne peut avoir pour rôle que d’indiquer très grossièrement nos idées ; car on ne peut pas disconvenir que les notions qu’on se crée des choses soient incessamment différentes, quoique les choses elles-mêmes paraissent ne pas changer plus que le nom qu’elles portent et la signification que les dictionnaires donnent à ces noms. »

D’où résulte ce que Kavanagh croit être sa découverte:

11° « Tout le monde peut se convaincre que les mots liberté, amour, pitié, courage, etc., n’affectent pas également notre esprit pendant la vie ; cependant la même forme et la même signification leur sont attachées cette année comme l’année passée. Je peux en conséquence établir que les mots ne sont pas la même chose que nos idées ; qu’ils ne les représentent aucunement, et qu’ils ne font seulement que les nommer »

3. 2. Cette découverte - avérée ou illusoire - engage dès lors la réflexion de Kavanagh d’un pas supplémentaire en direction du matérialisme, d’une part, et, d’autre part, dans la voie de son affranchissement à l’égard des théories fixistes ou immanentes de la pensée:

12° « Lorsque dans mes recherches sur l’esprit humain j’en fus arrivé à ce point, et, qu’en adhérant aux conclusions précédentes, j’eus accompli ma découverte, je demeurai convaincu que, pour posséder une variété si étonnante dans ses pouvoirs de recevoir des impressions par le moyen des sens, le cerveau devait toujours être en mouvement, et pendant plusieurs jours je crus avoir découvert le premier ce secret de la nature. Cette confiance provenait de ce que je ne me souvenais d’aucune observation sur le cerveau qui pût m’en bien faire apprécier la nature. J’avais souvent entendu parler de la circulation du sang, mais cette réflexion toute simple ne m’était jamais venue que, par conséquent, le cerveau devait toujours être en mouvement. »

Un pas qui conduit Kavanagh à affirmer que - les paroles servant à nommer nos idées - les parties classiques du discours peuvent faire l’objet d’une réduction: « comme tous les mots doivent, de manière ou d’autre, nommer nos idées, il en résulte que tous les mots doivent, de quelque façon que ce soit, être des noms , ni plus ni moins. En conséquence, je réduis à une seule, les neuf classes de mots qu’on a conservées jusqu’à ce jour ». Et l’on ne sera guère surpris d’apprendre alors que cette simplification conduit à l’hypostase substituant le nom à toutes les autres catégories du discours, lesquelles ne sont plus alors que les parties fractionnaires du seul entier que l’homme puisse concevoir. Le nom est effectivement pour Kavanagh ce qui « nomme ou qualifie une idée, ce qui l’indique de quelque manière que ce soi, et c’est ce que tout mot fait, mais pas davantage ».

3. 3. Cette réduction pourrait donner l’impression que l’auteur cherche ici à retrouver une sorte d’unité organique originelle s’inscrivant à la fois dans la perspective phylogénétique du langage et sous l’hypothèse du monogénétisme linguistique d’origine biblique, qui sont les cadres épistémologiques de sa réflexion. Mais, Kavanagh citant également d’abondance Condillac avec qui il croit partager une même foi dans le réductionnisme rationnel des phénomènes perçus, probablement est-il plus intéressant de voir dans la simplification des neuf classes de mots la trace de préoccupations ambiguës que l’on nommerait aujourd’hui idéologiques et cognitivistes.

3. 3. 1. - Préoccupations idéologiques, car dans le souci de rationaliser l’organisation du langage et des langues, Kavanagh est amené à imaginer des rapports proportionnels déduits de sa conception d’un entier fractionné grâce auxquels il devient possible d’organiser logiquement l’expression du sens. Examinant le cas des adjectifs, dont la grammaire expose le fait qu’ils connaissent:

13° « quatre degrés et se comparent ainsi: grand, plus grand, le plus grand, grandeur ; méchant, plus méchant, le plus méchant, méchanceté ; vertueux, plus vertueux, le plus vertueux, vertu »

Kavanagh imagine donc un dispositif de calcul du sens des unités lexicales que certaines théories actuelles ne renieraient pas encore totalement:

14° « Le quatrième degré nomme ainsi toute la substance, et les trois degrés qui le précèdent sont par conséquent moins que l’entier. Ceci nous fait donc reconnaître qu’un adjectif au positif est moins qu’un substantif, qu’il en est même la moindre partie, puisque le positif est le degré le plus faible en valeur, et que le substantif, qui n’est autre que le quatrième degré, est le plus élevé. » [p. 162]

3. 3. 1. 1. Dans son ingéniosité même, ce dispositif va jusqu’à justifier l’impossible lorsque, par exemple, le nom ne se trouve pas au terme d’une série comparative morphologique. Condylure étrange se métamorphosant ici en véritable scorpion, Kavanagh propose une involution de la pensée du nom qui lui permet de développer en interne son modèle d’analyse comparative et proportionnelle:

15° « Quand des noms, ou si l’on préfère, quand des adjectifs au quatrième degré ont le positif qui doit leur appartenir, comme bonté à bon, méchanceté, méchant, on peut toujours les comparer comme nous l’avons fait ci-dessus ; lorsqu’ils n’en ont pas, on peut encore les comparer ; car, puisque nous savons que le positif est le moindre des quatre degrés, nous n’avons qu’à prendre une partie d’un nom, quel qu’il soit, et à le comparer jusqu’à ce que nous arrivions au nom lui-même, afin d’avoir les quatre degrés. Ainsi les noms bâtiment et église, qui qualifient une substance entière, n’ont pas de positif, mais les expressions une partie d’un bâtiment et une partie d’une église peuvent tenir la place de leurs positifs ; et de ce moment nous pouvons les comparer ainsi: A est une partie d’un bâtiment, B est une partie plus grande d’un bâtiment, C est la plus grande partie d’un bâtiment, D est un bâtiment. A est une partie d’une église, B est une partie plus grande d’une église, C est la plus grande partie d’une église, D est une église ; c’est-à-dire la construction A est une partie d’un bâtiment ; la construction B est une plus grande partie d’un bâtiment, la construction C est la plus grande partie d’un bâtiment, mais la construction D est un bâtiment. La construction A est une partie d’une église, la construction B est une plus grande partie d’une église, la construction C est la plus grande partie d’une église, mais la construction D est une église. [...;] Le quatrième degré se peut toujours distinguer des autres en ce qu’il nomme toute la substance, et qu’il peut prendre devant lui les mots une partie de, comme une partie de bâtiment, une partie de la bonté, une partie d’or ».

On sera sensible dans ce texte - non seulement, bien sûr, aux effets de la rhétorique répétitive de Kavanagh, qui sont une marque de son style - mais à la qualité même des exemples choisis, ainsi qu’à l’utilisation du marqueur de glose métadiscursive: c’est-à-dire [...]; it means, that is to say [...]; La même technique d’analyse peut s’appliquer avec succès, selon Kavanagh, aux prépositions, qui, lorsqu’elles « sont comparées séparément des mots qu’elles précèdent », laissent leur quatrième degré « être facilement imaginé, quoiqu’une pareille forme puisse ne pas exister dans la langue » (6).

3. 3. 1. 2. Dans ce système tetrastique, Kavanagh peut alors aisément disposer des paliers proportionnels permettant non seulement l’évaluation du sens des mots:

16° « Ainsi le positif est égal au quart d’une certaine partie, le comparatif à la moitié, le superlatif aux trois quarts et le quatrième degré à l’entier » [p. 165]

mais aussi la définition de propriétés que l’on dirait logico-syntaxiques. On pourrait d’ailleurs comparer utilement ici ce que propose notre auteur avec ce que Henri Weil écrivait, la même année 1844, dans sa thèse de doctorat De l’Ordre des mots dans les langues anciennes comparées aux langues modernes. Question de grammaire générale. Revenant sur l’exemple « Ce bâtiment est l’église », Kavanagh rappelle « que cela signifie la substance nommée: ce bâtiment est aussi nommée l’église ». Et il ajoute:

17° « Comme les deux mots bâtiment et église sont ici rendus définis dans leur signification par les mots ce et la ; et comme l’un n’est pas plus que l’autre, cette proposition fait une définition parfaite, et nous pouvons dire par conséquent: l’église est ce bâtiment, aussi bien que ce bâtiment est l’église, sans changer le sens de la proposition. Mais si l’un de ces termes (bâtiment et église) était défini et l’autre indéfini, cette mutation ne pourrait avoir lieu sans changer le sens de la proposition ; et cela arriverait avec cette phrase: ce bâtiment est une église, qui donnerait une église est ce bâtiment. De même, quoique les deux termes soient définis, si l’un est plus que l’autre, on ne peut les faire changer de place sans dénaturer le sens. Ainsi, dans cette phrase: ce livre est ma propriété, qui signifie ce livre est une partie de ma propriété, c’est-à-dire de toute ma propriété, d’où il est clair que propriété signifie plus que livre puisque je ne veux pas dire que toute ma propriété se borne à ce seul livre, je ne peux pas déplacer les termes sans en changer complètement le sens ; et c’est ce qui arriverait si je disais ma propriété est ce livre, ce qui voudrait dire toute ma propriété se borne à ce seul livre.

De là, nous pouvons sagement conclure que, lorsque deux termes d’une proposition sont définis et d’égale valeur, c’est-à-dire quand l’un n’est pas partie de l’autre, ils forment une définition, et qu’on peut les faire changer de place sans altérer le sens en aucune façon. » [p. 168]

3. 3. 1. 4. Sous l’hypothèque que l’esprit et la pensée sont toujours deux choses différentes, comme je le rappellerai ci-dessous, Kavanagh expose ici une manière a priori de plaquer des cadres déjà logico-arithmétiques sur le vivant des mouvements du discours pour en déduire l’organisation de la pensée. Tandis que Weil revendique pour sa part d’accorder une plus grande et plus juste attention à l’observation empirique des données du discours sans se soucier d’en dégager directement les lois de la pensée, puisque pour lui « l’ordre des mots doit reproduire l’ordre des idées » (7).

3. 3. 2. - Préoccupations cognitivistes, tout autant, car l’ensemble de ces réflexions est soutenu par un substrat philosophique - dont on a déjà vu plus haut les représentants principaux - qui affirme la distinction de l’âme, de l’esprit et de la pensée:

18° « Un homme peut être un bon poète et mauvais historien, mais nous ne pouvons pas le censurer sous ce dernier point de vue, sans que l’individu nommé bon poète ne reçoive aussi notre censure, puisque le bon poète et le mauvais historien ne font qu’un seul et même individu. Donc, si l’esprit est le même que l’âme, l’un ne peut pas souffrir sans que l’autre souffre aussi. De sorte que si une personne prenait assez d’une certaine liqueur pour que son esprit en fût affecté, nous serions obligés, du moment qu’on considère l’esprit et l’âme comme ne faisant qu’un, de croire son âme également atteinte, puisque les philosophes soutiennent que l’âme et l’esprit sont une seule et même chose.

Mais comme il n’est pas une seule personne de bon sens qui puisse croire que parce que l’esprit est malade l’âme doive l’être aussi, il suffira d’un moment de réflexion pour se convaincre que l’âme ne doit pas être la même chose que l’esprit. » [p. 131]

Mais qui, pour le démontrer encore ici, ne sait recourir qu’à des arguments métaphysiques.

3. 3. 2. 1. De ce constat Kavanagh déduit une conception de la pensée dans laquelle le cerveau - par les effets de la circulation du sang dont il était question plus haut - occupe une position cardinale. Doté par cette circulation même de la capacité de recueillir, de donner et d’exprimer le mouvement, le cerveau devient matériellement en soi le lieu biologico-logique du penser, c’est-à-dire de l’activité insécable qui opère la jonction du pensable et du pensé:

19° « Selon moi, l’esprit est une substance matérielle, douée, comme toutes les autres substances matérielles, de qualités qui lui sont particulières: c’est le cerveau. Et le pouvoir de penser et de donner le mouvement qui appartient à cette substance peut être appelé esprit, mais nullement âme, dont il diffère tout-à-fait (probablement), et dont nous ne pouvons rien savoir, par expérience, dans ce monde.

L’esprit et l’âme diffèrent essentiellement, car la destinée de celle-ci ne peut pas, comme la divinité d’Alexandre, dépendre d’une potion qu’un médecin aurait préparée. Je pense que l’âme est aussi supérieure à l’esprit que le diamant l’est au caillou du chemin. » [p. 132]

Reste seulement ici la dépendance théosophiste de Kavanagh pour corriger le matérialisme de son analyse:

20° « Par cette manière de considérer l’esprit, je ne le rends pas moins intelligent qu’il ne l’est véritablement, car cela serait impossible ; mais je remets l’âme en sa véritable place, puisque, du moment que nous admettons que l’esprit et l’âme sont deux substances différentes, l’une matérielle, l’autre immatérielle, on doit croire que cette dernière, l’âme, à cause de sa nature immortelle, est infiniment supérieure à l’esprit.

Par ce raisonnement même, notre idée de la divinité est encore agrandie, puisque nous reconnaissons, malgré notre haute opinion de l’esprit, qu’elle a accompli une autre création (l’âme), dont les qualités merveilleuses surpassent à l’infini celles qu’elle a accordées à l’esprit. » [p. 132]

3. 3. 2. 2. Car notre auteur plaide de toute évidence en faveur d’une séparation radicale et inlassablement répétée de l’âme et de l’esprit, elle-même fondée sur une représentation physiologique des mouvements d’énergie affectant le cerveau en tant qu’organe biologique central des perceptions et de leur expression que médiatise le langage. Rapportée à ce dernier, semblable conception des mécanismes de la pensée donne immédiatement accès à une séméiologie, dont les noms signent l’inscription et gagent la fonctionnalité par leur aptitude à être des intermédiaires fixes entre les données variables de l’expérience et le sens que l’homme cherche à instiller dans les signes ou à extraire d’eux:

21° « Toute substance corporelle quand on en parle, devient mentale à l’instant par cette raison, déjà donnée, qu’il n’existe pas deux personnes qui puissent jamais voir la même chose exactement de la même manière ; et que chacun pense une chose, non pas comme elle est dans la nature mais selon l’image qu’il s’en est faite dans son esprit. Ainsi, si je montre une montagne et que j’en parle, ce ne sera pas de la montagne qui se trouvera devant moi que je parlerai, mais bien de l’image que mes yeux m’en ont donnée ; et cette image est si loin d’être une représentation exacte de la montagne que personne (tant sont différentes les impressions que reçoit l’esprit) ne pourrait la voir de la même manière, et qu’il me serait impossible à moi-même de la revoir ainsi dans un autre moment. C’est pour cela que cet objet matériel dans la nature devient, lorsqu’on en parle, une substance intellectuelle aussi bien que l’amour, la crainte, l’espérance, etc. Ceci explique comment les substances intellectuelles ont, dans la grammaire, la même valeur que les substances corporelles: circonstance dont personne n’avait pu donner la cause jusqu’à présent.

Cette manière de voir coïncide avec le nouvel aperçu que j’ai pris de l’esprit humain, et prouve que les mots ne sont ni la même chose que nos idées ni leurs représentans ? Pour faire sentir mieux encore cette vérité, il faut dire que si les mots avaient jamais eu le pouvoir qu’on leur attribuait (d’être la même chose que nos idées ou même de les représenter), il n’y aurait aucune nécessité de voyager pour connaître, pour visiter même les lieux que d’autres décrivent ; et il arriverait en outre aux esprits les plus vulgaires de faire des récits qu’on trouverait bien supérieurs par la nature et la beauté à tout ce que Virgile et Homère ont écrit, mais non pas à ce qu’ils ont imaginé ». [p. 156-57]

3. 3. 2. 3. Le déchiffrement ou le dévoilement du sens que Kavanagh traque inlassablement réfère donc à une recherche de nature étymologique que cautionne l’hypothèse de la permanence des caractéristiques humaines de l’esprit:

22° « Il est de toute évidence que tout mot, dans quelque langue que ce soit, renferme en lui-même son histoire et sa définition ; car, supposer que les auteurs d’une langue n’attachèrent pas un sens aux mots toutes les fois qu’ils en créaient un, ce serait les croire non-seulement dénués de toute raison, mais encore de toute communauté d’espèce avec nous ; puisqu’il n’y a pas aujourd’hui d’homme, quelque ignorant, borné, ou stupide qu’il soit, qui puisse donner un nom à n’importe quel nouvel objet, sans attacher quelque sens à ce nom. Mais lorsque avec raison on admet que les hommes possédaient anciennement un esprit de la même nature que le nôtre, on est forcé de reconnaître que les mots qu’ils ont composés doivent être significatifs, et que nous pouvons, en les déchiffrant, acquérir les connaissances les plus curieuses sur l’état primitif du monde, et voir comment il a pu se faire qu’une seule langue prît des formes aussi variées. » [p. 565-66]

Et c’est ici que les spéculations auxquelles il se livre dans le cadre idéologique et épistémologique qui est le sien trouvent en quelque sorte la pleine expression de leur caractère fantastique. De Ménage à Turgot, cette discipline avait connu déjà bien des transformations dans ses son objet, méthodes, son épistémologie. Il semble que Kavanagh se soucie peu de ces réaménagements, ne retenant de ceux-ci que le souci d’étayer la démarche sur des faits formels, car sa préoccupation principale reste de résoudre l’énigme qu’il pense être sa découverte, selon laquelle, à l’origine « il ne peut y avoir qu’un seul mot, mais composé à l’aide d’un calcul si étonnant qu’en nommant toujours la divinité il doit aussi nommer toutes les autres choses. » [p. 858]. Et cette seule remarque rappelle évidemment que l’auteur se situe dans les cadres de l’illuminisme.

3. 3. 4. Je ne prendrai ici qu’un seul exemple, celui de l’étymologie anglaise de woman, dans lequel apparaît de manière très perceptible l’interaction des principes idéologique et cognitiviste de la construction théorique par laquelle Kavanagh se représente le langage et ses développements à travers l’histoire:

23° « Pour montrer la sagesse extraordinaire qui présida à la formation des mots, je peux introduire ici les différentes explications de man, woman, Adam, etc., que j’ai déjà promises dans une partie de cet ouvrage. Le lecteur peut se rappeler que le mot womb a été expliqué comme signifiant toute l’existence, mais l’existence double. Maintenant le mot am (suis), c’est-à-dire la première personne du singulier du verbe être, donne aussi, lorsqu’on l’analyse, the womb, comme nous pouvons le voir ainsi, oim, mot dans lequel oi est pour man (homme), et est égal à io ou I go (je vais). Ceci nous fait voir que la partie radicale du mot womb est une seule lettre, ou tout au plus deux, c’est-à-dire si nous accordons qu’un i soit sous-entendu devant l’m, ou autrement devant v, u, ou w, car nous verrons que m n’est rien moins que ces trois lettres. Alors am peut, dans certaines langues, s’écrire av, dans une autre au, dans une autre encore aw. Quel est alors le sens de I go the womb ? Cela veut dire I existe to the womb (j’existe à la matrice), c’est-à-dire j’appartiens à cela, ou je suis de cela ; en d’autres termes, I of woman (moi dela femme). Par conséquent, ce que j’ai dit au sujet de womb, c’est-à-dire que ce mot signifiait toute existence, se trouve ici pleinement confirmé, car chacun peut dire I am (je suis), puisque toute personne est née de la femme (of woman). Mais quand nous analysons woman simplement ainsi, wo-man, ce mot signifiera littéralement the double one - man (le double un - homme), c’est-à-dire le double un (à) l’homme, ce qui veut dire the womb to man (la matrice à l’homme). Et en nous rappelant que an est la partie radicale de man (im-an - the man), si nous analysons woman ainsi, wo-man nous aurons encore la matrice (à) l’homme ; donc wo et wom sont ici synonymes de femelle, de sorte que c’est comme si l’on disait la femelle à l’homme.

D’un autre côté, man signifie le mâle de la femme, comme nous pouvons le voir ainsi, im-an (iv-oin), Eve one, c’est-à-dire Eve un, - le un appartenant à Eve ou à la femme. Cela nous fait découvrir que man et woman sont réellement deux mots pour mâle et femelle ; et lorsque nous plaçons ensemble les parties radicales de ces deux mots ainsi, an-im, nous avons l’origine de animal, qui fait, quand on l’analyse, an-im-al ; mais l’ordre primitif doit avoir été al-an-im - all male and female (tout mâle et femelle), c’est-à-dire tout (à) mâle et femelle - toutes choses qui en sont nées.

Comme al, dans animal, est un autre nom pour la divinité, ce mot signifie aussi mâle et femelle à Dieu, voulant dire par là que la vie vient de Dieu. » [p. 526]

Précisément replacés dans le contexte historique de leur temps, ces développements rappellent par certains côtés les élucubrations saint-simoniennes d’Émile Barrault (1802-1869), par ailleurs professeur de lettres au renommé collège de Sorèze, qui, dans son cours oral de grammaire du 19 juillet 1832, délivré dans les jardins de Ménilmontant, affirmait le caractère central à tous égards de la femme dans le dispositif du langage (8). A l’issue de cet imprévisible parcours qui slalome ainsi, en tout affranchissement de quelque logique philologique, entre les formes et le sens, entre les décompositions et les recompositions arbitraires, Kavanagh peut conclure aux vertus de cette « connaissance critique des mots primitifs » grâce à laquelle se trouve vérifiée l’hypothèse de l’origine du langage et confirmée la véracité du modèle explicatif monogénétique des langues. C’est par là une sorte d’organicité unique du monde et de ses représentations qui se trouve assertée:

24° « [...;] il y a dans ce système une telle sagesse, qu’il n’existe pas de production de l’homme qui puisse non seulement l’égaler, mais même en approcher. Combien il est admirable que toutes les langues, que tous les mots, et toutes les lettres qu’on ait jamais connus, puissent se réduire au plus petit point qu’on puisse imaginer, et que ce petit point soit le signe par lequel on indique le créateur de toutes choses ! En mettant de côté la signification que tous les mots, que toutes les lettres, et même ce petit point renferment en eux-mêmes et qui est leur propre définition, il y a dans la seule unité de cet arrangement quelque chose de si extraordinairement sage et beau, quoique simple, quelque chose qui ressemble tant aux manières d’opérer d’un Dieu et s’éloigne si prodigieusement de tout ce que l’invention humaine a pu accomplir, qu’il est impossible de lui assigner cette origine. » [p. 858]

On ne saurait imaginer - me semble-t-il - détails plus clairs de ce mixte si curieux, constitutif de la pensée de Kavanagh, qui associe en lui mystique et rationalité, matérialisme et idéalisme, philosophie et - si l’on veut - philologie [...].

4. CONCLUSION
4. 1. Puisque j’ai ressaisi la personnalité et les conceptions mystico-matérialistes inlassablement réitérées de Morgan Kavanagh à l’intérieur des cadres du Prix Volney, après avoir tenté d’en montrer les caractéristiques essentielles pour une historiographie des marginalités de l’histoire des idées linguistiques, il est somme toute légitime que je retrouve ici le texte avec lequel notre auteur prend congé du monde savant: cet opuscule étrange, rédigé en anglais et présenté une ultime fois, en 1873, à l’attention du jury parisien sous l’intitulé précédemment rappelé de An Author his own Reviewer [...]; Sous un tel titre, que l’on ne s’attende certes pas à trouver une lecture impartiale et une mise à distance objective des travaux de l’auteur. C’est bien évidemment un plaidoyer pro domo qui s’exprime dans ces pages, et qui fustige violemment tour à tour:

- le critique unique de The Westminster Review, de The Athenaum, de The London Illustrated News, The Pall Mall Gazette, et The Illustrated Review, qui condamne les errements de la méthode de Kavanagh ;

- le caractère scientifiquement timoré des membres de l’Institut de France et de l’Académie française, « those learned philologists above mentionned », et notamment de Henri-Joseph-Guillaume Patin, qui lui avait écrit: « Je ne me sens en mesure ni de vous approuver, ni de vous contredire » [op. cit., p. 85]

- le décri dans lequel Max Müller, professant à l’Institution royale de Grande Bretagne, en février, mars, avril et mai 1863, ses Lectures on the Science of Language, tient les travaux philologiques et mythographiques de Kavanagh.

- ce qu’il considère être des erreurs dans les travaux du positiviste ennemi Littré [op. cit., pp. 203 sqq.] ou de Barthélemy Saint-Hilaire.

4. 2. On voit aisément par ces remarques que la dimension étymologique constitue l’axe principal et le cœur sensible des travaux de Kavanagh, le point sur lequel il lui est le plus dur de recevoir des critiques. Car, comme il le dit lui-même cette dimension touche directement à la question de l’instanciation divine du langage, et, par conséquent, à celle de l’autorité scientifique qu’il conviendrait selon lui de reconnaître aux détracteurs officiels de l’existence de Dieu:

25° « I beg now, gentlemen, to draw your attention to the many discoveries in philology in which I have had the evident advantage of your members of the Institute. But they are all philologists, and such men are the last in the world to admit the truth of a discovery which proves their own system to be of no value whatever. It is the philosopher, the close and original thinker, and not the mere linguist, grammarian or lexicographer, can decide respecting so important a discovery as the one, or rather the twofold one, to which I lay claim. Choose from among yourselves, gentlemen, a Locke, a Condillac, a Reid, and a Dugald Stewart - these men being in such a case the only competent and trustworthy judges. All such men have enlarged views, and the can no more doubt the existence of an infinitely wise Creator and Governor of the universe than they can disbelieve in their own existence or in the light of the sun at noon. But in what does the chief of your philologists, and who is also the chief of your Institute, believe ? That there is no God ! And this belief is no way concealed, but is professed openly and aloud ; and his followers are not few but many, and his works have a wide circulation. All this is very clearly and fully set forth by that eminent Christian divine, Monseigneur Dupanloup, Bishop of Orleans. And with the exception of one circumstance, namely, that M. Littrés’s works are going through new editions as soon as they appear, and have a wide circulation, I knew all this before. Now M. Littré may, for aught I know, be a very honest and honourable man, but the doctrine he is preaching justifies him in having no regard for either honour or honesty. And why so ? Because he who is son narrow-minded as not to believe in a God is scarcely more enlightened thant the maniac who cannot be made responsible for whatever he may say or do. But M. Littré is not a downright maniac, nor is his case a hopeless one. His friends should reason with him, and assure him that his principles are well calculated to accelerate the complete ruin of his country, and that its enemies could not employ for that purpose any one better fitted than he happens to be for serving their cause. His doctrine, that there is no God, is the abnegation of every sublime sentiment, so much so that, if the animals of the field could speak and argue, they would claim this doctrine as their own and accuse M. Littré of plagiarism [...]; » [op. cit, p. 220-21]

26° (« Maintenant, je vous demande, Messieurs, de porter votre attention sur les nombreuses découvertes en philologie grâce auxquelles j’ai pu marquer un évident avantage sur les membres de l’Institut. Mais ces derniers sont tous des philologues, et peu enclins, en tant que tels, à admettre la vérité d’une découverte qui périme la valeur de leur propre système. C’est au philosophe, au penseur attentif et original, et non au simple linguiste, grammairien ou lexicographe, de décider de la valeur et de l’importance d’une découverte aussi importante, ou plutôt de la double découverte que je revendique. Choisissez entre vous, messieurs, un Locke, un Condillac, un Reid et un Dugald Stewart - ces savants étant dans le cas présent les seuls juges compétents et dignes de confiance que l’on puisse invoquer. Tous ces savants ont développé des vues extrêmement larges sur le langage, et ils ne peuvent pas plus douter de l’existence d’un créateur infiniment sage et d’un gouverneur avisé de l’univers qu’ils révoqueraient leur propre existence ou la lumière du soleil à midi. Cependant, qui est le chef de vos philologues, et quel est son credo ? Qu’il n’existe pas de Dieu ! Et cette croyance n’est pas même dissimulée, elle est professée ouvertement et bruyamment. Ses adeptes, loin d’être rares, sont nombreux, et les ouvrages de ce chef bénéficient d’une large diffusion. Tout ceci est très clairement et totalement démontré par cet éminent chrétien qu’est Monseigneur Dupanloup, évêque d’Orléans. A l’exception du fait que les ouvrages de M. Littré bénéficient de nouvelles éditions aussi rapidement qu’ils paraissent et qu’ils connaissent une large diffusion, je savais déjà tout cela. Maintenant, pour autant que je le sache, M. Littré peut bien être un homme très honnête et honorable, n’en reste pas moins que la doctrine qu’il professe le place dans l’impossibilité d’avoir quelque considération que ce soit pour ces deux valeurs. Pourquoi cela, me direz-vous ? Parce que celui qui est doté d’un esprit aussi étroit qu’il ne peut croire en l’existence de Dieu est à peine plus éclairé que le fou qu’il est impossible de tenir pour responsable de ce qu’il dit ou de ce qu’il fait. Mais M. Littré n’est pas plus un simple fou que son cas est désespéré. Ses amis devraient discuter avec lui et lui faire comprendre que ses principes sont parfaitement calculés pour accélérer la ruine totale de son pays, et que ses ennemis ne pourraient pas employer à cette fin de meilleurs arguments que ceux dont il se sert. Sa doctrine, selon laquelle Dieu n’existe pas, est la négation absolue de tout sentiment sublime, à tel point que si les animaux des champs pouvaient parler et raisonner, ils feraient leur cette doctrine et accuseraient M. Littré de plagiat »)

4. 3. La charge ainsi menée contre Littré - devenu membre du jury en 1868 seulement, à la suite du décès de Joseph-Toussaint Reinaud - n’est pour Kavanagh qu’un moyen de revenir à l’essentiel de son plaidoyer: à savoir la justification de ses diverses candidatures au Prix Volney et la légitimation des ouvrages présentés dans ce cadre. C’est ainsi qu’il est amené à évoquer, après La Découverte de la science du langage, The Origin of Language and Myths, puis Myths traced to their primary source through language, en soulignant les mérites étymologiques de son travail:

27° « As far back as the year 1850, being then a competitor for the prix Volney, I submitted to your inspection a work, in Manuscript, bearing the same title as the one I sent to your Institute last year, and still as a competitor for the prix Volney. In 1856 and 1868 I became again a competitor for this prize, and have been so twice since then. And that the members of the Institute might the more readily see and appreciate the value of my discovery, I took in 1868, and since that year, some of their own etymologies, and allowed them to perceive, by applying my principles, that however clever and learned they might be in other respects, they knew nothing whatever of the origin of language. And how have I done this ? Not by mere assertion, but by replacing their bad etymologies by good ones. My two volumes, as well as this sketch, contain many incontrovertible proofs of what I do here assert. But few men who stand high in public opinion for their knowledge of any art or science can bear to be told that they know little or nothing of what they profess, and that may account for their affecting to despise what I have tried to make them believe. If M. Littré, who is, with M. Regnier for his assistant, the chief of the Committee of the Institute, happened to be as distinguished for tracing words to their primary sources as he is for compiling and explaining them, it would sink me very low in my own opinion to be slighted by him, for his dictionary is a fine explanatory compilation of French words. But that is all. Whenever he tries to trace a word to its primary source he is as much in the dark as any one else, and sometimes he is a great deal more so than many a man who is no philologist, but an original reasoner. »

28° (« Dès 1850, en tant que candidat au prix Volney, j’ai soumis à votre inspection un ouvrage manuscrit portant le même titre que celui que j’envoyais l’an dernier à l’Institut, à nouveau en tant que candidat à ce même prix. En 1856, puis en 1868, je fus de nouveau candidat et le fus encore deux fois depuis lors. Et afin que les membres de l’Institut puissent plus commodément percevoir et apprécier la valeur de ma découverte, à partir de 1868 je pris certaines de leurs propres étymologies, et je pus leur démontrer par l’application de mes principes que, quelque habiles, intelligents et instruits qu’ils fussent à bien des égards, ils ne savaient rien à proprement parler de l’origine du langage. Comment ai-je pu faire cela ? Non par de simples déclarations, mais en remplaçant leurs mauvaises étymologies par de bonnes. Mes deux volumes, tout comme cet essai, renferment de nombreuse preuves infalsifiables de ce que j’affirme ici. Mais peu d’hommes tenu en grande estime par l’opinion publique pour leur savoir peuvent supporter qu’on leur démontre qu’ils ne savent que peu ou rien de ce qu’ils enseignent, et c’est probablement là une des raisons de leur obstination à dénigrer ce que j’ai essayé de leur montrer. S’il arrivait que M. Littré, qui est, avec son assistant M. Regnier, le chef du comité de l’Institut, fût aussi érudit pour faire remonter les mots à leurs sources originelles qu’il est habile à les compiler et à les expliquer, être traité par lui sans considération m’abaisserait beaucoup dans l’opinion que j’ai de moi-même, car son dictionnaire est une bonne compilation explicative du lexique français. Mais c’est tout. Chaque fois qu’il essaie de retracer l’histoire d’un mot jusqu’à son origine première, il se trouve autant dans l’obscurité que n’importe qui d’autre, et parfois même est-il encore plus dans cette obscurité que mainte personne qui n’est ni philologue et qui revendique seulement d’être un penseur original »)

4. 4. Une telle obstination pourrait être l’indice d’une probable pathologie mentale et d’une psychologie fragile. Mais elle peut être aussi l’expression corroborée à l’époque de Kavanagh, entre 1840 et 1870, par de nombreux autres travaux similaires, d’un débat épistémologique et méthodologique de fond opposant deux conceptions fortement antagonistes de l’étymologie.

4. 4. 1. La première, celle pratiquée par Kavanagh mais aussi - avec des aménagements particuliers très personnalisés - par Paul Ackermann (1812-1846), Honoré Chavée (1815-1877) (9), Paul Regnaud (1838-1910) (10), et même ultérieurement par Raoul Robert Marie-Guérin de La Grasserie (1839-1914), conduit à formuler des spéculations sur les rapports des idées aux mots et à rechercher les racines alphabétiques ou syllabiques primitives dont sont issues toutes les entités lexicales des langues. Cette orientation de la recherche ferait de l’étymologie une des bases fermes de l’anthropologie linguistique si elle n’était accompagnée de considérations théosophiques issues de divers bords (celticisme, illuminisme, saint-simonisme) et souvent délirantes, qui contribuèrent vivement à accélérer sa totale péremption dans le champ du langage et sa seule subsistance dans celui des poétiques irrationnelles.

4. 4. 2. La seconde, plus fermement appuyée sur les considérations que Turgot énonçait dans le tome VI de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers de Diderot et d’Alembert, se caractérise par le souci de contrôler et de vérifier ses conjectures au moyen de la phonétique historique et de la grammaire comparée, ainsi que par son ouverture sur des recherches d’anthropologie. Elle est pratiquée dès l’époque de Kavanagh par Michel Bréal (1832-1915) (11), Gaston Paris (1839-1903), puis ultérieurement par Antoine Thomas (1851-1935), avant que d’être subvertie par la nouvelle discipline sémantique qui, à partir de 1883, en déplace les objectifs et en détourne peu à peu les interêts. Les préoccupations heuristiques et méthodologiques qu’affiche cette étymologie en voie de reconversion sont en effet tout à l’opposé de la précédente puisqu’au lieu de spéculer sur des entités ayant pu exister dans les temps de l’origine du langage et de s’interroger sur le principe de la création de ce dernier, cette version moderne de la science généalogique des mots cherche seulement à définir une origine et à retracer l’évolution des entités lexicales en tant que formes dotées de sens dans une culture, de telle sorte qu’il ne soit plus possible de répéter, comme le faisait encore Kavanagh [p. 256] que le latin Ancilla donne Servante en français [...];

4. 5. Replaçant maintenant les candidatures de Morgan Kavanagh entre leurs bornes initiale et finale, j’observerai que le gros du débat tourne en ce qui concerne notre auteur autour de la question de l’origine du langage et des racines alphabétiques grâce auxquelles peuvent s’expliquer les principes de la signification des langues et la génération de leurs unités lexicales sous quelque catégorie grammaticale qu’elles se présentent, puisque toutes peuvent être rattachées par degrés au nom. A cet égard, Kavanagh semble avoir parfois des intuitions qui - nonobstant un esprit fantastique - pourraient donner lieu à des développements et des découvertes intéressants. Mais notre auteur à plutôt choisi d’explorer les marges de ce domaine. Ce qui place son œuvre sous un contre-jour tout particulier.

En effet, la troisième Société de Linguistique de Paris, officiellement fondée en 1866, après une série de lectures scientifiques ayant eu lieu à partir de 1864, stipulait comme on le sait au début de ses Statuts:

29° Article I. - La Société de Linguistique a pour but l’étude des langues, celle des légendes, traditions, coutumes, documents, pouvant éclairer la science ethnographique. Tout autre objet d’étude est rigoureusement interdit.

Article II. - La Société n’admet aucune communication concernant soit l’origine du langage, soit la création d’une langue universelle.

Texte qui fut refondu en 1876 en un seul article:

30° Article I. - La Société de Linguistique a pour objet l’étude des langues et l’histoire du langage. Tout autre sujet d’études est rigoureusement interdit.

qui réitère et maintient la proscription. Rapprochant ces textes des documents qui figurent à l’Institut dans les archives du Prix Volney, je ne veux aucunement soutenir que cette Société pût exercer une quelconque influence scientifique ou morale sur les membres du jury de ce prix. J’observerai simplement que, dans l’air du temps, un identique discrédit frappe alors les recherches qui se fondent plus sur des spéculations que sur l’observation de faits soigneusement recueillis et classés. Les efforts de Kavanagh et l’inlassable énergie un peu folle déployée par lui pour tenir ensemble les pôles contradictoires - idéologique et cognitif - de sa réflexion ne pouvaient donc plus dès lors qu’être frappés d’inanité. C’est effectivement à cette époque, dans le cercle homogène - et homologué par les institutions - des linguistes de fonction et de profession, des linguistes acculturés aux méthodes historico-comparatives de la grammaire, de la phonétique et de la linguistique générale, que va désormais se développer la recherche étymologique, dans une sorte d’indifférence aux travaux de sémantique.

Et dans ce cadre-là, historique, logique et laïc, donc immédiatement politique, fortement imprégné de positivisme, peu à peu dégrevé de présupposés religieux ou d’implicites philosophiques de nature mystique, Morgan Kavanagh, avec ses fantasmes, son orgueil, ses obsessions et sa sensibilité épidermique aux critiques d’autrui (12), ce condylure étrange aux allures de dilettante, ayant voulu développer une théorie historique et sémiologique globale de la production des sens, n’avait plus aucunement sa place. Notons d’ailleurs qu’avec lui - ce qui est aussi une manière en creux de marquer l’intérêt qu’il peut présenter pour l’historiographie de nos disciplines - disparaissaient du cadre scientifique les recherches d’autres marginaux de la science du langage:

- le Nouveau système sur l’origine de la parole et de l’écriture, ou Indication d’une clef à l’aide de laquelle il est possible de suivre la filiation de tous les idiomes connus et de remonter à l’origine de la langue primitive, que Maurice Joanne présente aussi au concours de 1849 ;

- tout comme l’Essai philosophique sur les transformations du langage, étudiées dans la Langue française que Charles Daudville soumet en 1855 ;

- voire l’Exposé préliminaire entrevu plus haut d’une Théorie du langage que Jean-François Louis Jeantin propose lui aussi en 1857 ;

- ou semblablement l’Essai de grammaire universelle ou analyse générale des langues réduites à leurs radicaux, et traduites les unes aux autres au moyen d’une hémipasigraphie claire et simple, que Pierre-Abraham Jônain publie en 1858.

On pourrait d’ailleurs continuer encore à aligner de ces titres jusqu’aux années de la disparition de Kavanagh. Mais après celle-ci, force est de constater que les ouvrages soumis à l’appréciation des membres du jury ne sauraient désormais entrer dans ces cadres plus fantasmatiques que scientifiques.

A titre comparatif, pour mieux montrer ce balancement des intérêts scientifiques de l’époque, j’ai recherché les titres de quelques thèses de doctorat soutenues dans la période àù Kavanagh présentait ses œuvres à l’Institut [...]; La distinction est, me semble-t-il, éloquente [...];

1850-1851:

François-Charles-Eugène Thurot (1823-l882), Sur l’enseignement au moyen-âge.
Eugène Talbot (1814), Essai sur la légende d’Alexandre le Grand dans les romans français du XIVe siècle
Edme Montécourt , De la méthode grammaticale de Vaugelas

1851-1852:

Ernest Renan , L’Origine du langage.

1852-1853:

Alexis Chassang (1827-1888), Des essais dramatiques imités de l’Antiquité au XIVe et au XVe siècles
Charles-Ernest Beulé (1826-1874), An vulgaris lingua apud veteres Graccos existerit?

1854-1855:

Alfred Heinrich, Étude sur le Parcival de Wolfram d’Eschenbach et sur la légende du Saint-Graal

1855-1856:

Auguste Ditandy (1826-1902), De nomine substantivo observationes grammaticae et historicae

1856-1857:

Charles-Antoine Gidel (1827-1900), Les troubadours et Pétrarque

1858-1859:

Gustave Sandras, Étude sur G. Chaucer considéré comme imitateur des trouvères
François Campaux, François Villon, sa vie et ses œuvres

1860-1861:

Henri Mayer, De heroico Germanorum carmine inscripto Nibelungen

1862-1863:

Michel Bréal, De Persicis nominibus apud scriptores Graecos Hercule et Cacus: étude de mythologie comparée

1863-1864:

Anne Néante, De Joamis Boyssonnei vita, seu des litterarum in Gallia méridiana restitutione
G. Guibai (1837-1905), Le poème de la croisade contre les Albigeois, épopée nationale de la France du sud au XIIIe siècle.

1864-1865:

Adolphe Bossert (1832-1922), Tristan et Iseult, poème de Gotfrit de Strasbourg

1865-1866:

Gaston Paris, De pseudo Turpino, Histoire poétique de Charlemagne
Jean Rabasté (1828-1868), De la langue osque d’après les inscriptions et dans ses rapports avec le latin
Gustave Deville (1836-1867), Du dialecte Tzaconien
Louis Loiseau, De modo subjunctivo ; Étude historique et philologique sur Jean Pillot et sur les doctrines grammaticales du XVe siècle

1866-1867:

Edouard Sayous (1842- 1898), La France de Saint-Louis d’après la poésie nationale

1867-1868:

Henri Tivier, Étude sur le Mystère du siège d’Orléans et sur Jacques Millet, auteur présumé de ce mystère

1869-1870:

Henri Vérin, Étude sur Lancelot

L’évolution des travaux de recherche dont témoigne le Prix Volney de l’Institut de France expose ainsi de manière très significative comment - sinon pourquoi - peut se constituer progressivement, entre 1840 et 1875, une conception de la linguistique générale qui - pour s’instituer avec toute la légitimité des épistémologies rigoureuses et des saines méthodologies - écarte tout autant de son champ d’enquête les prétentions universalisantes avortées que les ambitions modélisatrices prématurées.

class="Heading4">Notes

1.Ce terme désigne primitivement l’aberration biologique que constitue en zoologie la taupe au nez étoilée, que l’on rencontre en Amérique du Nord et en Amérique du Sud. Il est employé ici pour souligner le caractère aberrant de la démarche scientifique de Cavanagh au regard des tendances générales et de l’épistémologie de la science du langage de son époque, qui fait de lui, en quelque sorte, un mutant surprenant.
2.On observera dans la dénomination de l’auteur la francisation orthographique de l’initiale du nom de Kavanagh. L’ouvrage, dont je possède un exemplaire, imprimé chez Paul Renouard, rue Garancière n° 5, est en effet disponible en France dans une traduction depuis 1844.
3.Il s’agit du fils de J.-L. Burnouf, auteur de la Méthode pour étudier la langue grecque (1813). Eugène Burnouf, né le 8 avril 1801 et mort le 28 mai 1852, orientaliste resté réputé pour avoir été le premier à traduire des fragments de l’Avesta (1833), ainsi qu’à avoir étudié le Bhâgavata Purana en vue de rédiger une Histoire poétique de Krishna (1844) qui l’amena finalement à rédiger une Introduction à l’histoire du bouddhisme indien (posthume). On voit par là à quelle aune rigoureuse pouvaient être évaluées les œuvres fantastiques de Cavanagh.
4.Cahiers de la Tour Saint-Jacques, n° vii, Paris, 1961.
5.Ce grammairien et publiciste anglais, adversaire déclaré des thèses soutenues par James Harris dans le célèbre Hermes, est resté célèbre pour avoir tenté d’accommoder dans son œuvre, et notamment dans son analyse des particules de la langue anglaise, une étymologie gothicisante épurée de visées théologiques et un matérialisme perceptuel qui l’amenait à ne privilégier que l’expérience directe des mots en discours.
6.Pour soutenir cette idée, Kavanagh écrit encore: « Ainsi, on peut dire que le quatrième degré de with (avec) est la conjonction ou connexion ; comme: 1° with (avec) ; 2° more with (plus avec) ; 3° most with (le plus avec) ; 4° la conjonction elle-même ou la connexion elle-même [...;] » (p. 256].
7.H. Weil, De l’Ordre des mots dans les langues anciennes comparées aux langues modernes, Paris, imprimerie de Crappelet, 1844, p. 12.
8.Voir à ce sujet , Le Livre nouveau des Saint-Simoniens, Manuscrits d’Émile Barrault, Michel Chevalier, Charles Duveyrier, Prosper Enfantin, Charles Lambert, Léon Simon et Thomas-Uisamyl Urbain (1832-1833), Édition, introduction et notes par Philippe Régnier, Du Lérot, Tusson, 1991, pp. 91 sqq.
9.Dont la Lexiologie indo-européenne ou Essai sur la science des mots sanscrits, grecs, latins, français, lithuaniens, russes, allemands, anglais, Paris et Leipzig, A. Franck, 1849, est présentée au concours de la même année. On s’amusera de constater que le secrétaire chargé d’enregistrer les ouvrages entrant en lice écrit tout d’abord sur le registre des Archives: Lexicologie [...]; Ce n’est qu’à la faveur de la distribution ultérieure des ouvrages aux membres du jury que le c fautif, spontanément réinscrit une seconde fois, est finalement barré.
10.Lui-même auteur d’un Origine et philosophie du langage, Paris, Fleischbacher, 1888.
11.Plus particulièrement pour ce dernier à partir de 1866: « De la forme et de la fonction des mots. Leçon faite pour la réouverture du cours de grammaire comparée du Collège de France »
12.Sensibilité exacerbée d’ailleurs par la conscience de ses échecs répétés tant en anglais qu’en français.

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